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-Ma chérie, j’ai eu une super idée !

 

Quand l’Homme arrive avec une «super idée», mes sourcils se rapprochent dangereusement l’un de l’autre et mon ventre se resserre pour former une petite boule désagréable. Heureusement, de temps en temps, l’idée est vraiment super, je tends donc l’oreille.

 

-On va faire de la place pour les travaux du sous-sol. 

 

Jusque là, tout va bien. J’ai hâte d’aménager le sous-sol.

 

-On va vendre tout le matériel de puériculture qui prend la poussière depuis quelques années !

 

Ravi de sa trouvaille, il ponctue sa phrase d’un immense sourire. La petite boule désagréable ne me quitte pas. Mes sourcils s’écartent, mes yeux tombent, ils s’humidifient. Je regarde le plafond, je jette un oeil sur ma dernière qui fourre son papier de bonbon sous le canapé. Mes yeux rétrécissent, ils commencent à se noyer. Ca y est, je pleure.

 

VENDRE - MATERIEL - PUERICULTURE - POUSSIERE - QUELQUES ANNEES

 

Ces mots résonnent dans ma tête. C’est vrai, j’avais déjà imaginé ce moment. J’ai souvent ragé contre ce lit dans lequel on a rangé les décorations de Noël et qui m’empêche d’atteindre la machine à laver. Les ultimes traces de boue de notre dernière promenade en poussette que je vois sur les roues me rappellent que je n’ai même pas eu le coeur de la nettoyer. Le parc, plié en quatre, ne ressemble plus qu’à un vulgaire tas de bois sale. 

 

Le matériel de puériculture prend la poussière depuis quelques années. Il semble tellement difficile de quitter définitivement l’idée d’un nouveau petit être que mon giron pourrait abriter. Il semble tellement stupide de laisser sous nos yeux des objets dont nous n’avons plus besoin. 

 

Le lendemain, alors qu’il est persuadé que mon petit coeur de maman fonctionne à nouveau correctement, il me monte, un par un, tous les témoins des années perdues... Pour que je les nettoie.

 

Le petit parc et ses 6700 barreaux à frotter, le siège auto et ses quelques traces de vomi séché qu’on  n’avait jamais réussies à enlever, le petit lit IKEA qui a abrité les nuits de mes bébés. La mort dans l’âme, j’ai lavé, séché et aussi caressé un peu mes souvenirs.

 

-Si vraiment un jour, nous décidons d’avoir un autre bébé, nous achèterons de nouvelles choses. 

 

L’Homme commençait à comprendre que je ne faisais pas semblant. Il m’arrive souvent d’être excessive dans mes émotions. Je le fais exprès, j’en rajoute. Mais pas cette fois, il le voyait bien.

 

-Alors, ce n’est pas perdu pour toujours ? C’est une éventualité, ça, d’avoir un autre bébé?

 

Il m’a répondu «Oui» d’un regard fuyant. C’était juste une astuce pour me manipuler, j’en suis sûre !

 

Il m’a laissée prendre les photos, je lui ai confié le Bon Coin, je ne pouvais pas m’y résoudre. J’ai bien essayé de rédiger les petites annonces hyper vendeuses pour lui rendre service...

 

  • Parc : petite cage où de nombreux enfants horribles ont péri morts de faim. Bon état, sauf quelques barreaux rongés par les enfants en question. Prix : 789 euros.
  • Trotteur : déambulateur pour bébé. Rend les enfants obèses et incapables de se déplacer en marche avant. Dites adieu à vos meubles et à la peinture murale. 
  • Siège-auto sécurisé : on n’a jamais vraiment compris comment l’installer dans la voiture, les clips de sécurité sont donc à l’état neuf. 

 

 

Oui, donc, il se chargerait de la partie commerciale de bout en bout et c’est lui qui traiterait  avec ces gens qui allaient voler mes précieuses affaires.

 

A Paris pour quelques jours, j’ai réussi à esquiver la manoeuvre. Il m’a bien appelée pour me dire que certaines choses étaient parties. J’avais un noeud, mais j’étais loin. L’abstraction des évènements préservait mon coeur. Seulement, ce matin, quand on a sonné à la porte, j’ai découvert une mère, jeune et souriante malgré la fatigue si palpable de ses nuits morcelées. Elle venait chercher la poussette et le landau. Quand elle est repartie, heureuse de son acquisition, je l’ai détestée profondément. Je jalousais son regard attendri sur l’avenir qu’elle se construirait avec le reste de mes souvenirs. Je l’ai vue jeune maman omnisciente et toute puissante, j’ai pensé à son bébé l’aimant sans condition. 

 

Pourquoi était-ce si dur de passer le relai ? Quitter le lycée, abandonner le célibat, rentrer dans la vie active, découvrir la noirceur de l’humanité... Toutes ces étapes étaient finalement d’une simplicité sans nom, comparées à celle du jour où l’on décide qu’on ne sera plus parent à nouveau. 

 

Pourquoi ne puis-je accepter l’idée de voir mes enfants grandir? Mais surtout grandir tellement vite... J’aimerais très égoïstement les enfermer à nouveau dans ce parc, arrêter le temps. Ne plus vieillir et ne plus franchir d’étapes.

 

Je suis restée accrochée à ces pensées sombres pendant quelques jours. Jusqu’à ce soir à vrai dire ; J’allais me coucher, j’ai donc escaladé les plaques de placo qui traînent dans mon bureau. L’homme ayant mis en oeuvre sa bonne idée, les travaux ont commencé. La grande veut son indépendance, elle veut la paix, elle va avoir sa chambre. Une chambre de pré-ado, sur les murs de laquelle elle désire accrocher des posters de chanteuses françaises dont je n’ose même pas écrire le nom. J’ai pris l’escalier, j’ai regardé le mur à moitié détapissé. Je suis entrée dans ma chambre et, là, sur mon lit, un gros bébé de presque cinq ans avait une respiration aussi cadencée qu’un métronome. Une fillette blonde, les cheveux tressés par mes soins, la bouche ouverte et quatre albums de l’école des loisirs à côté d’elle. Elle devait rêver de mille couleurs tant elle souriait dans son sommeil. Elle est tellement loin de la noirceur de l’humanité... J’ai plongé mon nez dans son cou et en l’embrassant, je me suis dit que lorsqu’elle franchirait ses propres étapes, je l’accompagnerai. Je l’aiderai à retrouver les couleurs disparues, je l’emmènerai à la Fac, je lui raconterai sa naissance lorsqu’elle sera sur le point d’accoucher. J’ai repensé à la jeune mère voleuse de souvenirs. Ca y est, je ne la déteste plus.J’ai finalement compris que passer le relai ce n’est pas refiler une poussette rouillée mais bien plutôt de poursuivre avec les siens cette grande traversée.


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Tag(s) : #5 Minutes au Grenier

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